Un héritage
Un héritage propose une réflexion profonde sur la question du lien entre la famille et les mécanismes autoritaires à l’œuvre à plus grande échelle dans nos démocraties.
Un héritage est une fiction dramatique qui travaille avec des morceaux de réel, quoique manipulés et transformés pour la situation dramatique. La pièce chorale évoque des faits réels qui se sont déroulés au Luxembourg il y a quelques années, à savoir la cession d’un vaste terrain agricole, qu’une famille, une fratrie de deux sœurs et un frère, a vendu à l’entreprise de technologie américaine Google pour que celle-ci puisse y construire un datacentre. La vente est devenue un véritable événement politique lorsque l’opinion publique a découvert qu’il y avait une discorde au sein de la fratrie et que Google a exercé de la pression sur le Premier ministre luxembourgeois pour qu’il intervienne auprès de la famille, en leur promettant des dédommagements ou autres bénéfices. Le Premier ministre, en annonçant fièrement que Google allait s’implanter au Luxembourg, a dû s’expliquer, lors d’une conférence de presse et dans un grand moment d’embarras, devant les journalistes qui ont commencé à s’interroger sur le rôle du gouvernement dans cette affaire.
La fiction inventée, basée sur cet achat problématique, raconte l’histoire du terrain agricole et de la vieille ferme qui s’y trouve, que deux sœurs et un frère, Astrid, Alex et Corinne Wagner, héritent après la mort de leur père, le paysan retraité Jean Wagner. Corinne, la cadette, y emménage, commence peu à peu à redonner de la vie à la vieille bâtisse, et quand vient l’offre de Google, elle refuse net, tenant tête non seulement à l’entreprise, mais également à sa sœur et son frère, qui veulent vendre. Les conflits internes familiaux, les jalousies, les rivalités, voire les bas instincts de chacun sont mis à nu par la promesse d’un rapide enrichissement qui n’a pas le même attrait pour tous les membres de la fratrie Wagner.
D’un autre côté, la pièce raconte la transaction du point de vue d’un des dirigeants de Google, qui, après le refus initial de Corinne, intervient auprès du Premier ministre pour lui ordonner d’aller lui-même la persuader de vendre, intimidant et manipulant le Premier ministre à coups d’arguments économiques et de promesses de créations d’emploi. Le Premier ministre, issu du parti libéral, désireux de faire de son pays un pionnier en matière de nouvelles technologies, cède face aux impératifs économiques de Google et réussit, en se servant de toutes les données confidentielles sur Corinne et sa famille, à monter les membres de la fratrie les uns contre les autres et à finalement persuader Corinne que la vente du terrain est la chose la plus sensée à faire.
Corinne, pour qui le terrain et la maison ont une valeur émotionnelle et symbolique, qui mène une vie simple, qui travaille dans un atelier d’encadrement, se contente de peu, ne voyage pas souvent, aime le côté transcendant de la nature, incarne une forme de douce résistance face à la vie au rythme accéléré et ultra-connectée que promettent les grandes multinationales technologiques, face, également, au pouvoir tentaculaire et anti-démocratique des nouvelles technologies.
Sur un niveau plus macroscopique, la pièce raconte également la transition qui a vu les États agraires européens se transformer d’abord en États industriels, puis en États dont la viabilité économique dépend de leur attirance pour les grandes multinationales, les entreprises technologiques et les entreprises de services, ce qui les laisse vulnérables face aux tentatives d’intimidation de ces derniers.
Traduction
Das Erbe, ins Deutsche übersetzt von Frank Weigand. Aufführungsrechte: Drei Masken Verlag.
Production
Compagnie Les Chants égarés, 2024. Mise en scène: Marceau Deschamps-Ségura.
Prix
Lauréat de l’aide à la création, ARTCENA, juin 2022.